Cello Nuages

2025

 

Ce projet est un hommage à June, à un épisode de mon enfance.
Avec June, ce fut une idylle. Je vous raconte.
June était une dame âgée, malade, ancienne agricultrice, mais surtout, elle était magnétisante. Les samedis, j'enfourchais mon vélo pour parcourir à toute vitesse, mes dix kilomètres afin de me rendre auprès d’elle et de son violoncelle. Ce furent mes premières sensations de spectateur face à l’instrument : « des frissons dans le dos », avais-je dit de retour à la maison. C’était à Buckner, au fin fond du Kentucky. La musicienne « classique » contrastait dans ce milieu rural où l’ambiance bluegrass rayonnait. June était un contraste à elle toute seule. Je n’avais pas de grand-mère aux États-Unis. June devint celle-ci : « ma grand-mère est violoncelliste », disais-je à l’école. « Elle a beaucoup de talent », m’avait indiqué mon professeur de basse électrique, « mais elle a dû faire une croix sur une carrière musicale », précisa-t-il en fermant les yeux.
Pendant dix mois, je fus l’auditeur de June. Je me concentrais, les yeux fermés, les yeux ouverts, allongé sur la moquette, assis, debout. Parfois, j’improvisais des danses en mode ralenti. Elle adorait ça, June.
Jamais je n’ai voulu pratiquer cet instrument, préférant laisser cela à June, à son souvenir. Ainsi, je reste l’enfant spectateur du Conté d’Oldham.

Depuis, le violoncelle m’a toujours suivi. Ou bien, voulait-il me rattraper ? On m’a demandé d’intégrer un groupe de rock dans lequel figurait une violoncelliste. J’ai dit oui. Plus tard, on me proposa de réaliser des reportages pour le Festival International de Violoncelle de Beauvais. J’ai dit oui. Parfois, l’enfant auditeur de June était là, me faisant lâcher une émotion discrète derrière la caméra. C’était ma manière d’applaudir.
 

Les titres des dix photographies de la série « Cello Nuages » correspondent à la période des dix mois que durèrent mes échanges avec June. Une année scolaire passée à Buckner de septembre à juin.
Début juillet, j'ai dû partir vivre sur la Côte-Est. Le mois suivant, June partit définitivement.

Jon Pitre